Une odeur, un souvenir, une marque olfactive que l’on porte pour toujours dans la mémoire sensorielle. C’est ce que parvient à créer Alberto Morillas quand il travaille à une nouvelle essence. Bulgari a choisi de compléter sa collection de haute parfumerie grâce au savoir-faire de ce nez qui, à cette occasion, a transformé des pierres précieuses en fragrances. Le voyage avec Le Gemme remonte le temps et retourne à la source des cultures de la Méditerranée et de l’Afrique en direction de l’Asie. «J’ai intégré l’histoire des pierres pour les transformer en des expériences olfactives», raconte le parfumeur.
La création olfactive est-elle pour vous un acte amoureux?
C’est une empreinte de famille, mais à l’époque je ne m’en rendais pas compte. J’ai compris que j’aimais tout ce qui dégageait du parfum, les rues qui sentaient la cire lors de processions de la semaine sainte à Séville, ma ville natale, les fleurs en abondance… je me souviens du «clavel» (dit-il en espagnol en parlant de l’œillet, ndlr), cette odeur des patios qui inondait l’air du temps. Aujourd’hui, l’œillet n’est plus à la mode, mais c’est une fleur dont on ne peut pas extraire l’odeur, contrairement à la rose ou au jasmin. On doit en reconstituer la senteur avec d’autres fleurs.
Je me souviens qu’à la maison, on mettait de la lavande dans un peu de charbon. Nous avons en Andalousie cette culture arabisante de parfumer les pièces, une fois que tout est propre.
Le Gemme Reali est un hommage sensoriel mêlant ces réminiscences du passé au présent. Comment a commencé la collaboration avec Bulgari ?
Mon histoire avec Bulgari est une histoire d’amour, car je travaille avec la marque depuis les années 1980. J’ai eu les meilleurs matériaux pour réaliser des fragrances extraordinaires aux spécificités exceptionnelles. Le musc, l’essence signature de Bulgari, apporte une touche magique, solaire et chaude à toutes mes créations. Je me sens à la maison quand j’œuvre pour cette marque.
Vous faites partie de la famille alors ! Qu’est-ce qui vous a inspiré ?
Au début, on m’a confié une pierre pour chaque fragrance : une émeraude, un saphir, un rubis. On m’a dit de les interpréter telles que je les voyais. À Rome, au siège de Bulgari, nous avons réalisé un travail sur le symbole de ces pierres. J’ai transposé avec mon interprétation ce que je ressentais et quand j’ai vu les pierres, c’est sorti. C’était intense. La difficulté était de trouver la bonne direction pour chaque pierre, le travail a été énorme parce que chacune pouvait se comprendre de mille façons. Nous avons mené de front un travail impressionnant avec l’équipe de Bulgari également à Neuchâtel.
Notre connexion a été émotionnelle et nous avons mis du cœur à l’ouvrage. Il nous a fallu une année pour trouver les notes et les sensations véhiculées par Le Gemme. Nous avons développé des petits accords, pas compliqués, mais qui se comprennent immédiatement. Le mélange d’essences naturelles et de nouvelles molécules a permis de créer ces magnifiques fragrances.
Vous avez suivi la route des pierres, en quoi cela consiste ?
Le parfumeur crée une odeur comme un joailler crée un bijou. Nous avons discuté en équipe de ce qui devait être fait, en suivant la route des pierres que Bulgari trace depuis la naissance de la ligne Le Gemme. Le rubis, le saphir et l’émeraude ont été mes inspirations pour définir ces trois fragrances orientales, incarnées par l’impératrice Théodora, épouse charismatique, puissante et cultivée de Justinien Ier, le 17e empereur de Rome. Elle les portait sur sa tiare royale et sa sagesse, son implication dans la défense des femmes étaient connues de tous. Le Gemme reali paie un tribut aux plus belles pierres de l’Empire byzantin et engendre la créativité que le saphir bleu, le rubis et l’émeraude véhiculent.
En quoi cette philosophie olfactive déploie-t-elle la magnificence et l’expérience ?
Le Gemme représente une aventure sensorielle magnifique, de celles qui restent ancrées dans les souvenirs comme ceux de l’encens à l’Église, que je respirais dans mon enfance en allant à la messe avec ma grand-mère. Ainsi, si le joailler parcourt le monde à la recherche de pierres et de métaux précieux, le parfumeur cherche les substances les plus exceptionnelles pour capturer les fragrances les plus envoûtantes. Cela, Bulgari l’a bien compris.
La mémoire olfactive vient-elle parfois troubler la création d’un nouveau parfum ?
Non, car la création d’un parfum est très rapide. On ne peut pas rester deux heures à avoir une idée. Là, c’est de l’inspiration, une fraction de seconde, une espèce d’élévation, on est comme dans le sommeil puis d’un coup, le réveil. C’est quelque chose de magique.
Que devait représenter cette ligne si précieuse ?
Le fait que l’on s’emporte dans un nuage évocateur du ressenti, la provocation des émotions. Cette collection devait avoir beaucoup de personnalité, une intensité de parfums très forte. Et vous, lequel préférez-vous ?
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La trilogie Le Gemme Reali composée par Alberto Morillas
Nyalia du sanskrit Nila désigne la couleur bleue et fait hommage au saphir du Cachemire.
Note de tête: iris bleu et absolue de jasmin sambac, poudré floral
Notes de cœur: absolue de Benjoin de Siam, chaud sensuel
Notes de fond: ambre gris et muscs blancs, caressant, transparent, pur.
Veridia du latin veridis désigne le vert, telle l’émeraude, et contient le galbanum de la région du Levant.
Notes de tête: essence de galbanum et d’angélique
Notes de cœur: larmes d’encens, précieux, sensuel, suave
Notes de fond: vanille bourbon, cœur de patchouli, mystérieux, magnétique, addictif.
Rubinia de l’italien rubino désigne la passion associée à l'explosive mandarine de Sicile.
Notes de tête: mandarine sicilienne, lumineux, citronné
Notes de cœur: absolue de bois de santal, notes de bois de Copaïba, intense, crémeux, enveloppant ; Notes de fond: absolue de fève Tonka, addictif, sensuel.
Propos recueillis par Monica D'Andrea