DADI observe, DADI lit, DADI sent. Et son regard affûté ne passe pas à côté des détails. Netflix propose la série Lupin tirée de l’œuvre de Maurice Leblanc et dont Omar Sy (Intouchables, 2011) dans le rôle du gentleman-cambrioleur est le protagoniste, assis sur un fauteuil au potentiel esthétique très élevé, mystérieux, unique. Le siège Nemo du designer italien Fabio Novembre nous a intéressés. Entretien.
Comment décririez-vous votre carrière de designer depuis votre région natale du sud de l’Italie, les Pouilles, jusqu’à la scène internationale ?
Je suis arrivé à Milan de Lecce à l’âge de 18 ans pour étudier l’architecture. Cette matière m’intéressait, car elle se trouvait à mi-chemin entre les disciplines scientifiques et humanistes. J’ai obtenu mon diplôme. Cependant, j’ai été un peu déçu et j’estimais que, comme moyen de communication, le cinéma était beaucoup plus léger et lourd aussi. Je suis donc allé aux États-Unis pour étudier le cinéma à l’Université de New York. J’étais l’invité d’un artiste israélien, Izhar Patkin, qui avait participé à la Biennale de Venise en 1990 et était l’une des têtes de pont de la scène artistique américaine avec Jeff Koons. C’est à travers le milieu de l’art que j’ai rencontré Anna Molinari fondatrice de la marque de vêtements Blumarine. Elle m’a demandé de réaliser la conception de sa boutique de Hongkong. Elle prenait un risque énorme: je n’avais jamais travaillé sur ce type de projet. J’ai adoré et je suis tombé amoureux de Hongkong. C’est là que mon rapport à l’espace s’est articulé, structuré, qu’il est devenu quelque chose de physique. Anna Molinari m’a ensuite confié la conception de sa boutique de Londres. Ce n’est qu’après son inauguration que je suis retourné à New York pour récupérer les valises que j’avais laissées chez mon ami et que je suis rentré à Milan. Le reste appartient à l’histoire.
Le made in Italy a-t-il encore la vie devant lui malgré le Covid ?
Vous voyez, quand on parle de french fries, on ne pense pas automatiquement à la France. Les pommes de terre sont originaires d’Amérique du Sud et ne sont devenues populaires en Europe qu’au XVIe siècle. Parler de design italien, c’est un peu la même chose. C’est un phénomène né en Italie après la Seconde Guerre mondiale dans un état de nécessité stimulé par les besoins de reconstruction. Cette sensibilité du design, longtemps considérée comme un monopole italien, s’exprime aujourd’hui par l’excellence de toute origine. Des générations ont été nourries des fruits de cette nourriture culturelle qui a produit des effets de masse, mais également motivé l’inspiration individuelle par la transformation de visions personnelles en des icônes universelles. Les protagonistes actuels du design italien sont français, néerlandais, américains, japonais, australiens, espagnols, allemands et même italiens, mais sans aucune forme de concurrence créative. Le sens même de la concurrence s’est vidé au profit de la participation. Même les entreprises italiennes ne peuvent penser à maintenir cette suprématie par le droit naturel. Le darwinisme contemporain chevauche ce tigre qu’est la mondialisation et aucun secteur ne se prévaut d’une rente à vie due à sa position. Le design italien d’aujourd’hui ne peut plus appartenir à un seul pays: c’est un totem, un droit de l’homme, comme une portion de french fries.
Vous êtes notamment l’auteur du fauteuil Nemo édité par Driade. Comment est-il né ?
On l’imagine inspiré par les masques vénitiens…
Dans la tradition vénitienne, porter un masque signifie nier son identité pour échapper aux conventions sociales et retrouver cette liberté qu’Oscar Wilde exprimait dans son célèbre aphorisme : « L’homme est moins sincère quand il parle en son nom. Donnez-lui un masque, et il vous dira la vérité ». Dans celle du théâtre grec, le masque s’appelait persona (per-sona: joue à travers), il était porté pour amplifier la voix. Nemo fait référence aux deux interprétations. Bien que je me considère comme un homme de mon temps, la profonde racine grecque de ma patrie m’a également conduit à associer Nemo à Ulysse (qui disait s’appeler « Personne » face au Cyclope), un nom utilisé comme un masque pour cacher différentes identités.
Il apparaît dans la série française « Lupin » produite par Netflix. Savez-vous
comment il y est arrivé ?
Je pense que la théâtralité du masque est ici la clé. Il vous permet de vous cacher, de vous protéger et de vous isoler dans un endroit secret. Les yeux découpés sur le dossier vous permettent de voir… sans être vu. Comme Lupin.
Quelles sont vos principales inspirations ? Y a-t-il une marque de fabrique « Novembre » que tout le monde reconnaît ?
Le corps humain et l’état amoureux m’inspirent pour la simple et bonne raison que ces éléments sont à la base de cette expérience unique que nous appelons la vie. Immergés dans le flux constant de l’évolution, nous oublions souvent l’aspect charnel lié à nos sensations. Aujourd’hui, nous ressentons d’autant plus ce besoin, du fait que nous sommes privés de contact par la force des choses.
Quels projets êtes-vous en train de mener ?
Mon travail continue d’évoluer. L’architecture notamment devient une constante qui jouxte le design d’intérieur, de produit ainsi que le graphisme. L’espace nous rappelle que nous sommes faits de chair et de sang et qu’à la fin de toute chose, nous subsistons, entourés de matière, de personnes que nous pouvons toucher, étreindre et embrasser.
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Bio Fabio Novembre
1966 : naît à Lecce, dans les Pouilles
1984 : s’installe à Milan
1992 : diplôme en architecture
1993 : suit un cours de réalisation de films à l’Université de New York
1994 : est chargé de concevoir son premier projet pour la boutique « Anna Molinari Blumarine » à Londres. Ouverture également de son propre studio à Milan
2000 à 2003 : directeur artistique chez Bisazza (carreaux de mosaïque)
Depuis 2001 : designer pour des maisons telles que Cappellini, Driade, Meritalia, Flaminia, Gufram, B&B Italia ou Casamania
Texte : Monica D’Andrea