On a tendance à ramener l'architecture religieuse aux grandes machines du gothique, à ces gigantesques cathédrales, monstres de pierre ciselés comme des dentelles pour mieux s'élever vers l'esprit sacré. Depuis les années 50 la modernité s'est également occupée de construire des églises. Histoire d'appliquer aux nouveaux matériaux disponibles - l'acier, le verre, le béton - la charge symbolique évidente que représente la maison de Dieu. Objet d'avant-garde, parfois expérimental, le sanctuaire moderne atteste de l'infinie variété des formes qu'incite l'inspiration divine. Il montre aussi l'étonnant degré d'ouverture esthétique d'un dogme vieux de 2014 ans. Six églises incroyables, six églises archicultes.
La chapelle Bruder Klaus à Mechernich par Peter Zumthor
L'architecte grison aime les églises modestes. Il y a celle de Sumvitg, en Engadine, recouverte d'une carapace de tavaillons de mélèze qui lui donne cet aspect chou de tatou des montagnes. Et la très spectaculaire chapelle Bruder Klaus, édifice privé commandité en 2007 par un riche fermier de Westphalie du Nord pour remercier Saint-Nicolas-de-Flue de sa réussite en affaire. Un ex-voto géant à la rectangularité sévère, éclairé par 350 billes de verre et dont le coffrage, constitué de 112 troncs de pins de 12 mètres de haut, a été brûlé une fois le béton pris. Les traces arrondies et noircies des supports naturels et surtout l'odeur du bois carbonisé parfume l'atmosphère d'un air de fumoir mystique.
L'église Sainte-Bernadette-du-Banlay à Nevers par Claude Parent et Paul Virilio
Un tombeau? Une tête de Snoopy? Un blockhaus de la dernière guerre? L'église Sainte-Bernadette-du-Banlay à Nevers de l'architecte Claude Parent et du philosophe Paul Virilio supporte depuis 50 ans le feu roulant des comparaisons désagréables. Des comparaisons pas toujours infondées, le bâtiment assumant son emprunt au vocabulaire militaire, notamment. A la fois bunker protecteur et crypte cavernicole inspirée de la Grotte de Massabielle à Lourdes, l'édifice construit en pleine guerre froide pousse loin le radicalisme dans l'architecture religieuse. Expression du brutalisme extrême ici adapté par le maître du plan incliné et le penseur de la vitesse, Sainte-Bernadette-du-Banlay veut ainsi expérimenter un nouvel espace dynamique où l'utilisation de l'oblique doit transformer notre rapport au monde. Renversant.
L'église Saint-Pie à Meggen par Franz Füeg
Vu de l'extérieur, l'église Saint-Pie c'est un cube blanc, un monolithe enchâssé dans un carcan d'acier posé à deux pas de Lucerne, pas très loin du lac des Quatre-Cantons. Vu de l'intérieur, c'est l'expérience d'architecture sacrée la plus hallucinante du pays. Les plaques de marbre translucide qui recouvrent intégralement l'édifice prennent soudain feu lorsque la lumière passe au travers. Le dessin aléatoire de la pierre révèle alors en couleur fauve un espace complètement vide rendu possible par l'utilisation d'une structure métallique, à la manière d'un hangar, dessinée en 1966 par l'architecte Franz Füeg.
La Chiesa di San Giovanni Battista à Mogno par Mario Botta
Au printemps 1986, une avalanche emportait une partie du village de Mogno au Tessin. Douze maisons en tout, sans oublier la petite église dédiée à Saint-Jean-Baptiste balayée par les éléments. Le hameau décida de reconstruire le chapelle disparue. En 1990, c'est Mario Botta qui s'y colle. Il imagine un cône tronqué, éclairé uniquement par une gigantesque lucarne zénithale, et dont l'alternance de marbre de Peccia et de granit du Val Maggia, rythme ce lipstick en noir et blanc. Un battement coloré qui continue à l'intérieur - mais en motif damier - de ce mini espace qui peut contenir 15 personnes à tout casser. Total Op'Art.
L'église Saint-Nicolas à Hérémence par Walter Förderer
Encore une histoire de catastrophe. En 1947, un tremblement de terre endommage l'église Saint-Nicolas d'Hérémence. Abimée et devenue trop exigüe, elle est détruite vingt ans plus tard. En 1968, le Bâlois Walter Förderer qui envisage l'architecture en béton à la manière de la statuaire dessine les plans du nouveau bâtiment. Entre la sculpture habitée et le bloc granitique colossal, l'église consacrée en 1971, renvoie à la fois à la rudesse de la montagne et à la monumentalité du barrage de la Grande-Dixence voisin achevé quelques années plus tôt.
La Steinkirche à Cazis par Werner Schmidt
A Cazis, tout petit village des Grisons, la paroisse ressemble à une baraque Barbapapa. Un édifice-bulbe à trois ventricules percés de larges fentes pour laisser entrer un maximum de lumière et dont l'analogie avec les pierres de la rivière toute proche lui ont donné son nom: Steinkirche. Construite en 1994 sur les plans de l'architecte grison Werner Schmidt, l'église s'est adjoint l'expertise de Heinz Isler, le spécialiste du voile de béton. L'auteur du pavillon Sicli à Genève, a ainsi du résoudre l'épineux problème des ouvertures, les immenses fenêtres en amande complexifiant la statique d'un bâtiment conçu comme un oeuf.
Texte: Emmanuel Grandjean