En haut, un fronton palladien. En bas, une entrée voutée qui fait penser à celle de Santa Maria del Fiore à Florence. Entre les deux, soixante étages de granit rose dans la plus pure tradition des premiers buildings de Louis Sullivan construit à Chicago. Lorsqu’en 1984 le AT & T Building émerge sur le skyline de Madison Avenue les New-Yorkais s’interrogent. Qui a donc imaginé ce bâtiment qui ressemble à un gros jouet ? Un building à l’apparence de carton-pâte dont il serait, en somme, son propre décor. Le AT & T Building (devenu le Sony Building depuis son rachat en 1992 par la multinationale japonaise) est l’œuvre de Philip Johnson, l’architecte aux faux airs de Le Corbusier, auteur de la Glass House, baraque totalement transparente plantée en pleine nature à New Canaan dans le Connecticut. Une sommité de la modernité et de l’épure passée dans le camp de l’ornement et de la citation. Autant dire du côté obscur de cette force qu’il a lui-même contribué à éradiquer.
Les commentaires moquent d’ailleurs cette tour qui cumule sur 197 mètres de haut un peu plus de 500 ans d’histoire du bâti. Certains y voient le mariage entre un buffet de Thomas Chippendale, ébéniste anglais du XVIIIe dont les cabinets au raffinement extrême passent déjà pour surkitsch, et l’architecture renaissante de Palladio et de Brunelleschi. Certains pointent aussi l’image de l’architecte inféodé aux grandes compagnies qui redessinent, avec plus ou moins de bonheur, le visage de New York. Philip Johnson s’en défendra, montant lui-même au créneau en posant en une du Time Magazine avec ses grosses lunettes et la maquette de son building dans la main. Comme une sorte de géant qui s’amuserait à planter ses bâtiments à la manière d’un jeu de plot.
Projeté en 1978, mais finalisé six ans plus tard, le AT & T Building est surtout un grand moment de la postmodernité, cet ultime sursaut d’insouciance de notre histoire récente. Une époque où le graphisme dynamitait les codes de la typo, le design s’inspirait de la science-fiction, la mode imaginait des lendemains fluo et où l’humanité rejouait le drame de l’histoire à la manière d’une farce. En 2016, Olayan America, son actuel propriétaire, annonçait avoir confié au super bureau norvégien Snøhetta le soin de rénové la bâtiment. Les architectes ont promis de ne pas toucher au fronton, mais de donner à l'entrée au look de forteresse un aspect plus urbain à l'aide d'un rideau de verre ondulé.
Texte: Emmanuel Grandjean