Dans les cimes brumeuses de la vallée de Joux, là où le silence des montagnes murmure les secrets des âges, se dresse la Manufacture Jaquet Droz. Une maison horlogère – la deuxième plus ancienne de
Suisse –, ancrée dans l’authenticité et l’artisanat. Ici, chaque montre est une œuvre d’art, un morceau d’éternité figé dans l’instant. Le savoir-faire se transmet, les gestes s’affinent, et le luxe n’a qu’un seul prix : depuis que la direction a fixé un seuil minimal d’une haute horlogerie résolument exclusive.

Depuis 2021, sous la direction d’Alain Delamuraz, Jaquet Droz a emprunté un nouveau sentier, audacieux et sans concessions. Exit les vitrines des boutiques et les fastes des points de vente. Ici, on ne parle plus qu’en tête-à-tête, en dialogue sincère entre créateurs et amateurs éclairés. « Nous ne faisons plus que du B2B, c’est l’humain qui prime. On parle, on choisit, on réfléchit ensemble et on crée de l’unique », clame Alain Delamuraz. Dans ce lieu intemporel, chaque montre devient une rencontre, une symphonie minutieuse où le temps et l’art s’entrelacent.

C’est dans cette atmosphère d’élégance rare que Lara Marino est entrée, porteuse d’une vision singulière. Après une exposition chez Quartier Général, un centre d’art contemporain de La Chaux-de-Fonds, elle est appelée par Jaquet Droz pour une collaboration inédite. L’horlogerie, l’art et la musique des Rolling Stones allaient fusionner, donnant naissance à des pièces uniques, imprégnées de symbolisme et de passion. «La manufacture m’a invitée à m’immerger dans son monde, un univers où chaque détail compte, où chaque cadran est une miniature d’exception. J’y ai rencontré Heidi, une artiste autodidacte dévouée qui, jour après jour, couche sur la porcelaine fine des motifs d’une précision exquise.» Elle travaille la peinture au pinceau sur des cadrans d’une taille à peine visible. Les yeux rivés dans son binoculaire, elle révèle le microcosme d’un univers artistique dans l’infime espace d’une montre, chaque trait de pinceau étant un acte de foi dans l’artisanat.


Pour Lara, l’horlogerie n’était pas qu’un travail, mais un écho lointain d’une émotion d’enfance. Lors d’un concert des Rolling Stones à Lausanne, à l’âge de 8 ans, où l’imaginaire s’éveille et rêve de rencontres impossibles, elle avait attendu en vain la sortie du groupe, espérant offrir un dessin à Mick Jagger. Cet instant est gravé en elle, et c’est ce même élan créatif, ce désir de capturer le moment fugace, qui l’a guidée dans son travail avec Jaquet Droz. Elle choisit l’album Tattoo You pour en faire l’inspiration d’un tableau et d’une montre unique. Sur cette pochette mythique, les tatouages qui ornent le visage de Mick Jagger créent une carte, un masque, un abri. Elle imagine alors le temps comme un refuge, un espace sûr dans lequel on peut se perdre, mais aussi se retrouver. La montre devient alors une cachette intime, un cocon pour ceux qui, comme elle, cherchent à préserver l’éphémère.

Le tableau de Lara, inspiré de Tattoo You et du morceau Gimme Shelter, raconte l’histoire de l’abri – cet espace protecteur qu’on cherche dans l’art, la musique, et même dans le luxe de l’horlogerie. « Avec cette montre, je voulais que le temps devienne un refuge », explique-t-elle. Dans chaque couche de peinture, chaque détail tatoué sur le cadran, se cache une signification, une superposition d’émotions. La langue, le symbole des Rolling Stones, est dissimulée en filigrane, comme un rappel constant de ce refuge secret que l’art peut offrir.

Elle travaille en étroite collaboration avec Heidi, qui sait transformer le grand format des tableaux que Lara a pour habitude de peindre en une miniature vivante sur la montre. Leur communication est fluide, un échange de confiance et de précision. «J’admire la manière dont Heidi s’approprie l’œuvre, restant fidèle aux émotions originelles tout en les adaptant aux contraintes de l’horlogerie.» Pour Lara, cette expérience est aussi celle d’une découverte intime, un retour aux sources de l’artisanat et de la création. Inspirée par une phrase de Romain Gary : « Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tiendra jamais », elle crée son œuvre comme une ode à la beauté de l’instant qui s’échappe et au lien indéfectible entre une mère et son enfant. La montre devient un symbole de cette promesse non tenue, un rappel que le temps est à la fois éphémère et infini.

Lorsque l’on contemple l’œuvre finale, on ressent la profondeur de ce lien entre passé et présent, entre rêve d’enfance et accomplissement adulte. La montre Jaquet Droz x Rolling Stones est plus qu’un objet de luxe : elle est un récit d’abris, de refuges et d’évasion.

Ainsi, au cœur du Jura, une nouvelle histoire prend forme. Entre Lara Marino, l’artiste aux rêves d’enfant, et Heidi, l’artisane des cadrans, le temps s’est figé pour devenir éternel. Comme dans chaque pièce – telles que les trois automates la Musicienne, le Dessinateur et l'Écrivain, emblématiques des créations Jaquet-Droz – un fragment de cette histoire demeure, prêt à être découvert par celui qui osera regarder au-delà des aiguilles et du cadran.
Texte: Monica D'Andrea