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Tom Dixon de retour à Milan

L'année dernière, il avait courbé le Salon du meuble de Milan. Une première depuis 15 ans qu'il participe à la foire. Le voilà de retour au The Manzoni au 5 de la rue du même nom, un café-restaurant de 100 couverts qui lui servira aussi de showroom dans la capitale lombarde. «Je voulais une présence différente. Exposer mes nouveautés pendant 5 jours, me prenait une énergie folle. Il était temps de penser à quelque chose de permanent. Comme à Londres, je ne voulais pas ouvrir ici un simple showroom. J'avais besoin d’un endroit où les gens peuvent tranquillement voir et expérimenter mes produits dans une ambiance chaleureuse et vivante», explique Tom Dixon, designer au nom de héros de polar, qui a contribué à changer la face du design mondial. Si, si, c’est dit sans exagération.

Héros, Tom Dixon l'est à sa manière. Déjà parce qu'il travaille exclusivement pour sa propre marque depuis presque 20 ans. Ensuite parce qu'avant de créer des objets, Tom Dixon a eu une autre vie démarrée en 1963 à Tunis où il est né. Une vie dont le fil se poursuit à Londres où il devient bassiste et s’achève après que deux accidents de moto réduisent définitivement à néant ses ambitions de rocker. Là démarre sa renaissance. Remis en selle par le design sans vraiment suivre d’école – il a appris tout seul la soudure après avoir claqué la porte de la Chelsea School of Art de Londres au bout de six mois – il est rapidement repéré par Cappellini éditeur italien de mobilier pour qui il crée un siège en forme de S. Tom Dixon, guitar hero contrarié, devient d’un coup designer à succès.

S-Chair pour Cappellini, 1991 (crédit: Cappellini)

Un vrai parcours dans les méandres, mais qui va assez vite mettre de l'ordre dans son vocabulaire. Tom Dixon aime les courbes épurées, les reflets métalliques, l’esthétique industrielle et les pièces qui donnent de la lumière. A ses débuts en 1983 il est aussi l’un des premiers, avec Ron Arad, à envisager le design à l’égal de l’art contemporain. Ses chaises et des lampes en métal brut de chez brut se vendent à une clientèle de collectionneurs. Un design punk et trash qui rappelle la musique des Clash et l’Angleterre des années de fer, celles de Margaret Thatcher. «J’en suis fan et depuis longtemps », reconnaît Juan Menendez, architecte et propriétaire de l’enseigne lausannoise Jean-Pierre Goumaz qui expose au Design Days des pièces du designer. «Tom Dixon c’est un autodidacte qui élabore ses idées avec ses tripes. Un côté pur et dur que l’on retrouve dans ses objets dont les références puisent souvent dans l’industrie britannique à l’époque où elle était en berne. Et qui s’exprime à travers l'utilisation du cuivre, de la patine noire et du verre compressé.»

En 2008 il expose chez Mitterrand + Cramer à Genève un ensemble chaise longue, balancelle, chaise pour bébé et berceau découpé dans d’épaisses plaques d’acier Corten, du genre qui entre dans la fabrication des sous-marins de guerre. Tom Dixon réfléchit alors à la permanence des objets en fabriquant dans un matériau increvable un type de mobilier pas franchement conçu pour durer. «Je fais moins ce genre de chose aujourd'hui», explique le designer qui vient de recevoir le prix Créateur de l'année au dernier salon Maison & Objet de Paris grâce à sa collection d'accessoires, sa nouvelle aventure avec l'aménagement intérieur d'hôtels de luxe. «Travailler avec le textile, les arts de la table et les parfums m'amuse beaucoup. Mais entre ces petits objets et mes pièces plus proches de l'art, il n'y a pas beaucoup de différences. Ils sont animés par les mêmes obsessions qui sont chez moi liées à la fabrication, à la maîtrise du travail industriel et à la vente.»

Flame Cut avec Mitterrand + Cramer, 2008 (crédit: Mitterrand + Cramer)

La vente, l'autre grande préoccupation du designer qui parle très volontiers business. En lançant sa propre marque en 2002, il gagnait son indépendance et un contrôle total de sa chaîne de production. «J'ai essayé tous les modèles économiques en vigueur dans ce métier. J'ai travaillé pour une grande enseigne et avec des marques italiennes. Et puis j'ai finalement adapté au design une structure qui ressemble à celle que l'on trouve dans la mode. Comme un créateur de vêtement, je possède ma marque qui est soutenue par un investisseur. Je suis l'un des rares dans ce cas-là. Pourquoi? Parce que cela nécessite de s'intéresser à autre chose qu'à l'esthétique. Pour que ça marche, il est aussi nécessaire de penser à la diffusion, au marketing, aux questions de communication. Ce qui est loin d'être évident.»

La bosse du commerce, Tom Dixon l'a contractée chez Habitat. En 1998, le designer autodidacte devient directeur artistique de cette chaîne de meubles stylés lancée par son compatriote Terence Conran. Là, il apprend la gestion des stocks, la production à grande échelle et aussi que le design peut devenir une affaire. Dans son premier catalogue publié sous son nom, les couleurs noir et orange dominent, tandis que se trouve déjà l'un des objet-phare qui va tout fracasser: la «Mirror Ball» une lampe-boule tapissée d'un revêtement argenté. Un peu seventies, un peu disco, la suspension va illuminer tous les bons plans décos des années 2000. «Pour autant, ce n'est pas juste du vintage remis au goût du jour», prévient Chantal Prod'Hom, directrice du Mudac à Lausanne. «Alors oui, Tom Dixon revisite des formes déjà connues mais en se les appropriant pour en faire quelque chose de très personnel. Car même s'il produit pour les galeries, il ne voue aucune dévotion particulière pour l'objet unique. C'est un designer qui fait avant tout du design pour les gens.» 

Mirror Ball, 2002 (crédit: Tom Dixon)

Et qui respire l'air de son temps. Comme le dit Corine Stübi, propriétaire de la galerie lausannoise kissthedesign. «Il représente à la fois une figure historique du design contemporain et un entrepreneur qui donne souvent le «la» de la tendance.» Et la tendance chez lui en ce moment est tournée vers le numérique. «Quels conseils je donnerais à un jeune designer? Qu'un nouveau monde s'est ouvert à tous ceux qui veulent se lancer dans ce métier. D'un point de vue matériel, les objets sont aujourd'hui digitaux et les outils pour les diffuser à la portée de tous», explique Tom Dixon. «C'est fantastique, mais il y a un revers à cette médaille. Le problème c'est que les nouvelles idées deviennent instantanément publiques. Et que c'est justement avec le temps que se forge une identité esthétique. Garder un point de vue personnel et unique est très important, mais dans ces conditions c'est de plus en plus difficile.»


Texte: Emmanuel Grandjean

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