Le coronavirus a changé les choses, vous savez maintenant que vous êtes bâti comme un édifice. Votre architecture physique et physiologique est particulièrement bien faite, mais dès lors qu’advient une infiltration par un agent étranger, tout risque de s’écrouler. En revanche, le corps et l’esprit ont la capacité de s’adapter à tout, comme un jeu de scène au théâtre, qui évolue dans son contexte architectural. La scénographie est vouée à se renouveler chaque fois que la pièce est jouée ailleurs.
Vincent Baudriller est un homme des arts vivants, pour qui l’architecture est une forme de mise en scène étroitement liée à l’architecture. « Le rituel du théâtre consiste à rassembler des artistes et des spectateurs dans un même espace. Les liens entre l’art et l’architecture sont forts, à plusieurs niveaux. L’art du théâtre a un rapport au temps et à l’espace. Il invente des récits et des vies fictifs dans une scénographie dans laquelle vont intervenir des personnages et des objets », explique le directeur depuis 2013 du Théâtre de Vidy.
Historiquement, les unités théâtrales de temps et de lieu subsistent depuis deux mille ans. Le théâtre comme lieu de rassemblement peut revêtir plusieurs formes comme dans les multiples lieux du Festival d’Avignon, où Vincent Baudriller a œuvré en qualité de directeur avant d’arriver en Suisse : « Nous préparions des spectacles dans un palais ou des cloîtres du XIVe siècle, une carrière de pierre ou des salles de sport. La question de l’architecture y a été posée de manière passionnante quand, en 1947, le théâtre naît dans la cour d’honneur du Palais des Papes où l’architecture du lieu devenait scénographie, comme un acteur âgé de six siècles dans un spectacle d’aujourd’hui ». Le lien du temps et de l’architecture y est alors vraiment perceptible avec le théâtre qui est un art qui se vit dans le présent de la représentation. « Ce lien je l’ai retrouvé en arrivant au Théâtre de Vidy, dans ce bâtiment considéré comme une œuvre importante du patrimoine bâti du XXe siècle », poursuit le directeur en racontant l’exposition 50 ans d’histoire, de l’exposition nationale de 1964 à un centre de création international qu’il a proposée en reprenant le théâtre en 2014.
Construit par Max Bill, formé au Bauhaus, à l’occasion de l’Expo 1964, le Théâtre de Vidy faisait partie du pavillon Éducation et Création, un bâtiment original quatre fois plus grand que l’actuel. Il profite aujourd’hui de son architecture simple dans un cadre naturel exceptionnel au bord du lac, de ses volumes à dimension humaine, et de sa grande accessibilité de plain-pied, à la différence de nombreux théâtres modernes avec leurs grandes salles et entrées ostentatoires.
Le bâtiment de Vidy est humble, sans grandes rampes d’escaliers ni de marches. Il reste accessible à tous, avec ses portes ouvertes sur la plage. « La salle compte près de 400 places, reprend Vincent Baudriller. Le foyer à Vidy est très chaleureux, ce qui est précieux pour moi, car on s’y sent bien et ça permet de partager l’expérience de la représentation avant et après. » La designer et architecte italienne Gae Aulenti disait que le théâtre l’avait aidée à mieux comprendre le fond de la relation espace-temps et que l’architecture devait tenir compte de l’action théâtrale, du moment que la scénographie est une préparation à l’architecture fondamentale.
« En 2015, avec le laboratoire Ibois de l’EPFL, et son directeur l’architecte Yves Weinand, nous avons réalisé la construction d’une nouvelle salle de 250 places en bois. Sa structure modulaire dans un matériau simple résonnait avec le geste de Max Bill. Ce prototype d’un nouveau processus de construction en bois répondait aussi à des enjeux de durabilité.»
La modernisation du bâtiment principal a pour objectif de faire perdurer un double héritage : il est à la fois un vestige de l’architecture du XXe siècle, mais aussi, depuis une trentaine d’années, l’un des plus grands théâtres de création en Europe. «J’aime les lieux où l’on peut faire du beau théâtre, donc la réflexion de l’architecte sur l’usage est fondamentale, continue le directeur qui affectionne les lieux où la circulation entre les salles est fluide pour ceux qui y travaillent, où le dialogue entre acteurs et spectateurs est possible et simple.» D’ailleurs, son rapport aux objets suit le même chemin, dans la sobriété et l’élégance du fameux tabouret de Max Bill, simple et pratique, qui règne dans la Kantina conviviale du théâtre ainsi que dans chaque pièce de son appartement lausannois.
Texte: Monica D'Andrea