À l’âge de trente ans, Walter Förderer, associé à Rolf G. Otto et Hans Zwimpfer, remporte successivement trois concours d’importance pour la réalisation de l’école des hautes études économiques et sociales à Saint-Gall, le collège à Aesch et le collège Brunnmatt à Bâle. Bien que ces trois écoles se construisent en même temps, de 1959 à 1963, et qu’elles présentent de fortes similarités de composition et d’organisation, elles sont pour le jeune architecte bâlois un terrain d’expérience et l’articulation d’une démarche personnelle en pleine évolution.
Malgré le regard critique que porte Walter Förderer sur cette période, qu’il qualifie «d’apprentissage», ces trois réalisations, et plus particulièrement le collège à Aesch, sont déjà les esquisses révélatrices d’une expression architecturale très particulière où le béton devient l’unique matériau de construction et l’assise de la réalisation de son chef d’œuvre incontestable: l’église catholique Saint-Nicolas à Hérémence, au centre du val d’Hérens dans le canton du Valais, construite quelques années plus tard.
«Avant le ciment armé, tous les corps de métier sur place pour faire une maison. Après vingt ans d’application du ciment armé, un seul corps de métier sur place ; le maçon», rêvait Le Corbusier dans un texte de 1925 publié dans les Arts de la maison. De la même manière, Walter Förderer recherche avec l’usage d’une matière façonnée et coulée une relation intime entre le projet et la construction, quelque chose proche d'une démarche artistique qu’il nomme «Architektur – Skulptur». «La partie la plus intéressante du travail commence lorsque plans et maquettes me montrent que l’exigence du programme est suffisamment respectée pour que je ne risque plus de la perdre de vue, malgré les modifications qui interviendront encore; je ne vois plus alors le bâtiment que comme une sculpture (…). Je peux, aussi librement qu’un sculpteur, me consacrer à la réalisation plastique d’un espace.»
Le collège à Aesch est une réalisation charnière à plusieurs titres. Construite en même temps que l’école des hautes études économiques et sociales à Saint-Gall, Aesch devient le «petit projet» où les enjeux, jugés mineurs, sont vécus comme une expérience salutaire. Alors que le bâtiment saint-gallois, requiert des espaces rationalisés et standardisés, spacieux et grandiloquents (s'y intègre les œuvres d’art d’artistes réputés comme Giacometti ou Tapies) , à Aesch Walter Förderer entame son approche d'une architecture visuelle et psychique. «Nous voulions ici inciter des artisans à sculpter librement et nous les avons laissés travailler à leur gré des éléments de béton. Nous voulions ainsi apporter à «l’architecture calculée» son indispensable complément». Ici également commence la réflexion sur la dominance du béton armé comme unique matériau de composition et l’usage de produits non standards dans le second œuvre.
Au premier regard, on comprend cet édifice comme un projet intégré dans un quartier résidentiel planifié. En s’approchant et en le contournant, on découvre son autonomie et la compacité d’un programme important réuni en un seul «bloc» de béton. C’est l’image d’un vaisseau qui nous reste en tête, d’un navire à quai prêt à larguer les amarres. Cette compacité est amplifiée par la masse de l’édifice «posée» sur une série de piliers fortement dimensionnés en lien avec un préau qui s’apparente plus à une plateforme d’accès qu’à un espace de jeu dédié aux enfants. Walter Förderer joue avec les éléments architecturaux. La fenêtre devient un thème de composition particulier. Dessinée en bande, elle est placée le long de chaque classe et complétée de fines césures de lumière dans leur partie supérieure. Ce «jeu plastique» d’une fenêtre décomposée accentue l’identité d’un édifice représentatif et d’importance. De multiples aménagements extérieurs, tous réalisés en béton coffré, donnent à l’environnement construit le caractère d’une œuvre totale où les lampes, les bancs, les fontaines font partie d’une démarche artistique pensée, mais volontairement libérée de la contrainte compositionnelle de cette architecture imposante.
Le plan de l’école est en cela particulièrement instructif. Alors que Walter Förderer cherchera dans ces futurs projets à s’extraire d’une architecture «de la règle» par la conception d’un plan articulé, il compose ici un plan de transition à patio central contenant l’escalier à double volée et l’organisation des classes à orientations multiples. Ce principe offre une «déconstruction» des organisations répétitives familières des typologies scolaires, mais en plus, apporte des séquences lumineuses à l’intérieur de l’édifice, peu courantes à l’époque. L’église d’Hérémence signera le vrai début pour Walter Förderer d’une composition spatiale articulée, où l’usage de l’instrument de dessin, l’équerre à 45 degrés, entre dans la composition spatiale et la conception des plans. Sans atteindre cette nouvelle résolution, le collège à Aesch présente déjà une autonomie conceptuelle propre à l’émancipation de son auteur.
Architecture 100% béton, l'école bâloise est pensée à partir de cette matière. À l’instar de l’escalier central qui malgré son audace et son parcours aérien, s’apparente à l’architecture d’un contrefort ancré et résistant aux hypothétiques poussées tectoniques. La qualité de la lumière est particulière. À la fois intense et fortement absorbée par la texture du béton, patiné par le passage incessant des élèves, elle semble refléter sous l’effet d’un sol brillant différentes couleurs pourtant absentes de la composition. Förderer conçoit ici les premiers essais des éléments d’architecture non standards intégrés à la masse de l’édifice. Lampes, niches et certaines mains courantes font partie de la réalisation dès le gros œuvre.
Malgré la puissance de cette architecture et son autonomie plastique, à bien y regarder, le collège à Aesch, se présente comme une œuvre sensible et certainement touchante, car contenant en son sein l’expression d’une démarche à l’orée d’une confirmation absolue. C’est donc seul, mais remplit d’une conviction hors du commun, prêt à en découdre avec la matière, car tourné vers une architecture en «taille directe» que Walter Förderer développera dès 1963 une œuvre d’une rare intensité et d’une haute exigence plastique. Une véritable «architecture sculptée» dont les œuvres religieuses d’Hérémence, de Bettlach et de Coire ainsi que le centre Saint-Konrad à Schaffhouse manifestent la maîtrise et l’engagement de leur auteur.
A lire: Förderer Architecture – sculpture, éd. du Griffon Neuchâtel, 1975
Texte Christian Dupraz / Photos Laurence Bonvin
Walter Förderer
Naissance le 21 mars 1928 à Nohl, décédé le 29 juin 2006 à Thayngen
De 1945 à 1950 effectue les débuts d’un apprentissage de typographe, apprend la sculpture à l’École des arts et métiers de Bâle.
De 1950 à 1956 après plusieurs emplois comme paysagistes, sculpteur, commence le métier d’architecte dessinateur chez Willi Gossweiler, puis devient architecte stagiaire chez Hermann Baur.
En 1956 Förderer ouvre son bureau associé à Rolf G. Otto, rejoint par Hans Zwimpfer.
Ensemble ils remportent les trois premiers concours des écoles de Saint-Gall, Aesch et Bâle.
1963 il développe le projet de l’église catholique Saint-Nicolas à Hérémence qui sera suivi par plusieurs réalisations d’églises et de centre paroissiaux en Suisse et en Allemagne.
De 1969 à 1975 il réalise le centre Saint-Konrad de la paroisse catholique et l’immeuble d’habitation « Im Gräfler » les deux projets à Schaffhouse. Durant toute sa carrière, Walter Förderer conserve une relation très particulière à la sculpture qu’il développe en symbiose avec son architecture.