Tout commence par une idée. De père en fils, de connaissance en développement, de technique en réalisation. Lorenzo Lazzeroni est, comme on dit en italien figlio d’arte. Son père, Roberto Lazzeroni, dessine depuis une dizaine d’années pour Poltrona Frau, maison de meubles fondée en 1912 par Renzo Frau, dont le siège se situe dans la région des Marches en Italie centrale. Lorenzo Lazzeroni est actif depuis toujours auprès de son père. Pour lui, l’un des objets les plus emblématiques du fabricant de mobilier se trouve être la chaise Ginger. Il l’associe au bureau Fred, oui, tous les objets portent des prénoms. Au sein du bureau Lazzeroni studio, Lorenzo fait du rendering. Comprenez en français «rendu photoréaliste», le processus en coulisses qui consiste à monter un visuel pour voir ce que les créations donneraient en vrai. C’est un peu simplifié, mais fondamentalement, le photoréalisme demande des compétences artistiques de mise en scène et de composition tridimentionnelle.
Il ne s’agit pas seulement de maîtriser les outils informatiques et de jouer avec des machines puissantes, l’adaptation d’un objet qui part de l’idée du designer pour arriver au monde réel est un véritable processus technique. «Le rendering que j’ai réalisé pour Ginger a été sélectionné et publié sur la galerie en ligne de Chaos Group dans le cadre du lancement de Vray Next, le software le plus utilisé dans le domaine», explique celui qui revendique un parcours dans une école d’art, l’Istituto d’arte ISA Cascina, et une pratique quotidienne de la décoration d’intérieur, des meubles, de la coupe artisanale des matériaux à la réalisation des objets. «Vivre l’artisanat comme une normalité m’a permis de donner de la valeur aux petites excellences qui survivent face aux grandes entreprises qui ont envahi le marché».
Comme il l’explique, la conception en 3D est la concrétisation d’une abstraction, « cette masse de données grâce à laquelle on sortira, concrètement un objet qui sera commercialisé, vendu et placé chez quelqu’un.» À partir de la maquette qui lui est fournie par le designer, le jeune graphiste aboutit par le processus de la modélisation à la situation en 3D de l’objet dans l’espace. Le rendering permet de concrétiser une idée qui part du papier pour le réaliser concrètement. Un peu comme si un rêve pouvait devenir instantanément réalité. La technologie inclut des lasers qui permettent carrément de scanner des surfaces pour les reproduire en trois dimensions. Vous voyez les cake designers ? De la farine et des œufs, on arrive à une pièce montée.
Si l’architecture d’intérieur est un terrain de jeu, la famille Lazzeroni joue franc jeu. Ils se concentrent sur la recherche, mettent en avant l’histoire et les matériaux qu’ils travaillent : «Nous continuons la recherche et le développement dans une approche artisanale. La notion première de l’idée part du designer et fait le tour de la boîte pour se concrétiser dans un département de production. C’est une fabrique d’idées à 360 °», sourit celui dont la fonction consiste à fabriquer par la modélisation en 3D et, parallèlement, faciliter la prévisualisation des prototypes. Ainsi, les modifications peuvent être apportées avant la réalisation. Le rendering est donc fondamental pour la sélection, la correction ou l’approbation des objets. À la question «Comment savoir lorsqu’un produit est viable ?», Lorenzo Lazzeroni répond : «C’est intuitif, le projet mûrit après avoir pris sont temps, un peu comme le vin, puis se concrétise quand c’est le moment. On le sent, c’est tout.»
Avec les yeux de tous les experts, l’œuvre d’art se sculpte en live. Le prototype est réalisé et la phase créative se réalise. «Comme pour la mode, on coupe, on réduit, car souvent, du dessin à la réalité il y a de la marge. Ainsi, de l’idée on passe au marché.» Lorenzo Lazzeroni est pragmatique dans ses descriptions : les objets particuliers rendent curieux, c’est pourquoi pour respecter une ligne créative, il est important de rester cohérent avec les idées de départ. «Par exemple, le fauteuil 1919 de Renzo Frau n’a subi qu’un restyling en 2019. Il est exposé au musée Poltrona Frau à Tolentino, siège de la marque, dont le projet architectural est signé Michele De Lucchi. Cette pièce historique devait garder sa nature dans le principe même de sa construction qui correspond aux critères de 1919. Elle est toujours au catalogue, car les détails sont vecteurs de savoir-faire.» Du point de vue de la posture, les changements ergonomiques sont adaptés selon l’air du temps. Aujourd’hui le porte-cigare est allègrement remplacé par le porte iPad ! Là aussi, une mise en situation est essentielle avant de finaliser et de présenter à la marque le rendu final.
Lorenzo Lazzeroni est un amateur de musique, il exprime sa veine artistique de différentes manières, comme par le design digital, la création de graphismes inspirés aux polices de caractères de la typographie traditionnelle et moderne. «La conception et la modélisation en 3D d’un objet permettent également d’exprimer ma créativité, dans la mesure où il est une interprétation d’un dessin en 2D.»
La passion du lifestyle est fondamentale, aussi bien que l’attention aux matériaux et à la qualité, afin que les projets portent cette distinction qui donne le caractère à leur image à travers le monde. Comme la lampe 900, créée pour Patrizia Garganti et réalisée par Roberto Lazzeroni sur une idée de son fils. Elle dessine un mouvement de lumière dans l’obscurité, ce petit plus qui, comme on le constate chez Lorenzo Lazzeroni, rend les idées brillantes.
Texte: Monica D'Andrea